Escale obligée

Un ouragan faisant rage sur la côte ouest du Mexique promet de nous apporter des vents contraires et nous force à mettre le cap vers la Californie, l’État doré de la côte ouest-américaine, celui dont rêvent les surfers et les amateurs de grandes villes côtières. Je m’imagine déjà sur de grandes plages à me faire dorer au soleil, une noix de coco à la main ! « Sortez vos maillots de bain, les enfants ! » Il y a de l’excitation dans l’air ! Oh ! Hisse ! Toutes voiles dehors ! Le vent s’élève, Pinocchio s’élance, Brume ne tient plus en place, personne n’arrive à dormir…

Le vent finit par tomber et un épais brouillard frisquet nous enveloppe. Dès les premières lueurs du jour, nous jetons l’ancre à Drakes Bay. « Mais où sont le soleil, la chaleur et les palmiers », s’interrogent les enfants ? Des phoques viennent nous saluer, nous indiquant que l’eau est encore bien froide ici… Moi qui pensais faire un petit plongeon avec mon savon !

Climat tendu

La tuque toujours sur la tête, je profite plutôt de ce « moment de répit » pour remettre de l’ordre dans le bateau, faire la lessive sur le pont et nettoyer les cales et le cockpit. Le comble du luxe ! Nous sommes seuls dans la baie et le plan d’eau est calme comme un miroir. Le climat à bord est toutefois loin d’être paisible. Déjà, les débats commencent à savoir si nous irons visiter San Francisco.

« Nous ne pouvons quand même pas passer si près du fameux Golden Gate Bridge sans aller y faire un tour », protestent les ados !

Ils l’ont vu dans les films et souhaiteraient bien le voir en vrai. Pour Marcus, toutefois, ça ne paraît pas si simple que ça. En effet, il peut y avoir près de 4 nœuds de courant sous le pont. Il ne faudrait surtout pas y arriver à marée descendante… Imaginez-vous le scénario : vent et courant dans le nez ! Et si le brouillard ne se levait pas, ou que la noirceur s’installe avant que nous ayons rejoint un lieu sûr pour jeter l’ancre ? Ce n’est plus comme en Alaska ici, il ne fait pas clair toute la nuit !

« Ne me tannez plus avec ça, exige le capitaine. Nous en reparlerons demain… »

Moi, ça m’est égal. Je ne suis pas éprise de grandes villes ! Je préfère les baies inhabitées, les campagnes, ou les petites villes où tout est accessible à moins d’une demi-heure de marche. Mais bon… je serais bien ravie d’avoir accès à une bibliothèque !

Après une bonne nuit de repos, Marcus étudie la table des marées, calcule la distance à franchir et consulte les prévisions météo. Tout semble convenir parfaitement.

« Levez-vous, les gars. On lève l’ancre… Les filles… Au tour de qui de placer la chaîne ? »

« Eh ? On va où, de si bonne heure ? »

« On s’essaye pour San Francisco ! »

Une vue saisissante

C’est le retour de la joie à bord ! Au bout de cinq heures de navigation, nous voyons le Golden Gate Bridge surgir de la brume, soutenu par ces énormes piliers rouges. C’est quand même vraiment impressionnant de le voir suspendu juste au-dessus de notre tête ! Sans parler de l’ancienne prison d’Alcatraz ! Je comprends mieux pourquoi c’était si dangereux pour les prisonniers de tenter l’évasion. Avec ce fort courant et l’eau si froide… C’est presque la mort assurée. Nous atteignons enfin l’entrée restreinte de l’Aquatic Cove, cette petite baie circulaire où nous jetons l’ancre en plein cœur de San Francisco. Tous les jours, des centaines de nageurs passaient devant le bateau, faisaient le tour de la baie et se livraient une course la fin de semaine. L’eau noire et froide ne semblait pas les déranger. 

Certains s’y aventuraient même avant le lever du soleil avec une lampe sur leur bonnet de bain ou dans un sac au sec muni d’une corde pour le remorquage. J’aime vraiment la natation. C’est mon sport préféré. Mais ici, je ne suis pas tentée du tout ! Ah, comme j’étais bien aux îles Marshall… Je m’entraînais dans l’eau chaude en explorant les récifs de corail dans le lagon des atolls. C’était comme nager dans un aquarium géant rempli d’anémones, de tortues, de raies et de poissons par milliers ! « Coucou mademoiselle la pieuvre ! Respect, monsieur le requin ! Oh ! À vous l’honneur, madame la méduse ! » Oui, c’est un peu risqué, mais quel bonheur!

Ici toutefois, c’est sur la route qu’il faut se méfier. Nous avons eu un choc culturel en y voyant défiler une quantité innombrable d’appareils électriques munis de petites lumières rouges : des planches à roulettes, des trottinettes, des voiturettes, des vélos, des bidules à deux roues à position debout. Il y avait même des autobus électriques ancestraux. Nous avions l’impression de faire un voyage dans le futur et dans le passé ! Malheureusement, ce dynamisme s’accompagne de grands déséquilibres économiques et sociaux. Tandis que la majorité des infrastructures et des bâtiments sont luxueux et semblent occupés par des gens bien nantis, il y a un nombre incroyable de sans-abris qui longent les rues et rôdent dans les parcs. J’ai trouvé cela triste à voir, mais aussi très malaisant. J’ai vu des choses qui ne se racontent pas…

En tout cas, il reste que c’est une belle grande ville avec de belles bibliothèques et beaucoup d’attraits touristiques. Mais bon… Je n’aurai pas envie d’y habiter, c’est certain ! Au bout des 5 jours permis dans l’Aquatic Cove, je suis bien contente de lever l’ancre pour naviguer jusqu’à Halfmoon Bay. Le mouillage dans le Pilar Harbour est très bien protégé de tous les vents. En approchant de l’entrée, nous sommes accueillis par des centaines de pélicans. Ils volent dans toutes les directions, plongent pour du poisson et étirent leur long cou pour avaler leur prise. Notre grand émerveillement enfantin est soudainement interrompu par une expression générale de dégoût ! Une horrible odeur suffocante émane des brise-lames ! C’est alors que nous réalisons qu’elles sont complètement couvertes de pélicans… et d’excréments de pélicans ! Oh, que ça pue ! Malgré tout, nous y passons une semaine inoubliable et y rencontrons plein de gens formidables.

Rencontres exceptionnelles

D’abord, nous retrouvons nos amis du voilier Mandolyn avec qui nous avions passé du bon temps sur la côte ouest-canadienne ! Quelle coïncidence ! Puis, nous avons une visite surprise du Bleu Nomade, un autobus d’école aménagé en campeur, qui s’adonnait aussi à séjourner dans le secteur. Nous passons un moment mémorable avec cette famille québécoise qui a su se montrer très généreuse en nous offrant un transport en ville pour faire le lavage et une belle grosse épicerie ! Ça, c’est vraiment apprécié ! Ils savent ce que c’est de voyager en voilier, ayant eux-mêmes fait un voyage d’un an dans les Bahamas sur le voilier Perla7, la même année que notre départ pour les Açores en 2016. Charlotte et Juliette étaient ravies de rencontrer des filles de leur âge avec lesquelles elles ont pu développer une belle amitié. Ça fait du bien de passer du temps avec des gens de chez nous. C’est agréable de jaser de la vie au Québec et de parler québécois. Ça donne un peu le mal du pays ! Quoi qu’il en soit, le moment passé en leur compagnie nous a semblé trop court. Nos adieux sont longs et amicaux. Qui sait, nous recroiserons peut-être nos routes au Mexique !

D’interminables préliminaires

En 2021, lors de notre arrivée en Colombie-Britannique, un ancien camarade de classe de Marcus lui écrit pour le mettre en contact avec Simon, un gars qui prépare son voilier pour un long voyage, et qui aurait quelques questions à nous poser. Comme il prévoit de faire le tour de l’île de Vancouver avec sa famille au cours de l’été, nous espérions bien les rencontrer quelque part dans une baie… Malheureusement, nous n’arriverons jamais à le rattraper. Il est toujours quelques baies devant nous et en fin de compte, c’est lui qui répond à nos questions sur les mouillages autour de l’île. Nous gardons tout de même contact tout l’hiver… Au printemps, il entreprend une navigation de la côte ouest-américaine. Le retrouverons-nous un jour au Mexique ?

En arrivant à San Francisco, nous apprenons qu’il n’est pas loin, mais toujours devant nous. C’est à croire qu’il cherche à nous éviter !!! Bien au contraire ! À San Luis Obispo Bay nous avons enfin la chance de faire connaissance avec lui et l’équipage québécois du voilier Renard avec qui nous communiquions par l’entremise des réseaux sociaux depuis plus d’un an ! C’est formidable, car leurs deux enfants sont du même âge que nos deux plus jeunes, Alice et Florence. C’est vraiment drôle de les voir en vrai après une si longue présentation virtuelle ! Nous sommes ravies de poursuivre la route vers le Mexique avec eux. En plus, aux Channel Islands, nous retrouvons une fois de plus l’équipage du Mandolyn. C’est vraiment précieux de voyager avec des bateaux amis comme cela, un gros plus pour toute la famille. Ça fait des amis pour nos plus jeunes, des compagnons de plongée ou de randonnée pour nos plus vieux et des échanges agréables pour tous. 

Pendant leurs randonnées, les enfants ont eu la chance de voir des lions de mer et des éléphants de mer!

Mouvements inattendus

Un bon après-midi, alors que nous préparions un souper en compagnie de l’équipage du Renard, Marcus remarque qu’un catamaran se déplace de façon inhabituelle. Fidèle à lui-même, il sort ses jumelles et observe la chose attentivement. En effet, personne n’est à bord et le bateau dérive vers le large. Chasse-t-il sur son ancre ? Rapidement, Marcus prépare une chaîne, une corde et une ancre de secours et part en zodiac avec Thomas pour tenter de sécuriser l’embarcation. Simon, le capitaine du Renard, va leur prêter main-forte. Quand Marcus tente de relever l’ancre, il se rend compte que le câblot qui devait la retenir avait été complètement coupé ! Rien au bout de la corde. Misère ! Ce ne sera pas évident de gérer cela ! Pour connaître la suite de cette histoire, veuillez lire le prochain article de Thomas.

Finalement, nous quittons ces belles îles pour faire une dernière courte escale à Santa Barbara où nous entreprenons le ravitaillement du bateau pour la petite navigation vers le Mexique. Ce ne sera pas un très long déplacement, mais quand même. Il faut faire plusieurs aller-retour, les sacs à dos bien chargés. Nous avons un air étrange avec nos vieux sacs à dos, et le fait que nous achetions autant de nourriture prête à confusion ! Les gens semblent bien étonnés de voir notre cortège se déplacer ainsi à pied dans les rues où tout le monde se déplace en voiture de luxe et en talons hauts ! Une vraie ville de riches ! Ça me fait penser au feuilleton télévisé que nos tantes écoutaient dans le temps !

Bien, voilà, nous étions loin d’envisager ces escales sur la côte ouest-américaine, mais pour finir, ce fut bien agréable, nous y avons fait de belles rencontres et de splendides découvertes !

Prochaine escale, Ensenada au Mexique !



Charlotte vous présente ici deux petites vidéos de ses randonnées dans les Channel Islands, ainsi qu'une vidéo de l'équipage du Pinocchio faisant l'épicerie à Santa Barbara!

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About the Author

Je suis traductrice et je navigue autour du monde avec mon mari Marcus, nos 7 enfants et notre chienne Brume sur notre voilier Pinocchio à la découverte des océans, des îles, des gens, de la flore, de la faune, des insectes, des poissons, de la culture, de la musique, des arts, de l’histoire et des saveurs d'ailleurs...
I am a translator and I travel around the world with my husband Marcus, our 7 children and dog Brume on our sailboat Pinocchio to discover the oceans, islands, people, flora, fauna, insects, fish, culture, music, art, history and flavors of faraway...

  • Bonjour a tous et bonne heureuse année 2023 , je vous souhaites encore beaucoup d’aventures et de nous faire voyager avec vous tous . Très intéressant votre blogue . Si possible j’aimerais savoir l’âge de vos enfants quand vous êtes partis de Québec . Merci de nous faire de très beau récit .

    • Bonjour Mme Blouin! Merci pour votre beau commentaire. Voici l’âge de nos enfants quand nous sommes partis de Québec en 2016: Raphaël 11 ans, Thomas 10 ans, Charlotte 8 ans, Juliette 6 ans, Félix 4 ans, Alice, 2 ans et Florence 6 semaines. Bonne et heureuse année 2023!

    • OH!!! Vous avez bien raison Carole!
      Je crois que nous venions de discuter de notre retour éventuel au Québec en été 2024 et le chiffre m’est resté en tête! Oups! Désolée!
      Merci pour votre message et bonne année 2023! 🙂

  • Je vous lis comme un roman duquel je recevrais un chapitre comme un cadeau une fois de temps en temps! 😄 Merci pour ces pages et bonne année 2023 à toute la famille!
    Sylvie Montreuil

  • Merci Johanne de partager toutes vos expériences de vie sur un voilier , très intéressant de connaître comment se prenne les décisions . Félicitation à l’équipage!

  • Toujours un plaisir de vous lire! Bonne année 2023 à vous et votre merveilleuse famille et sans oublier Brume! WOW passer sous le Golden Bridge, ça doit être incroyable!!! Pour avoir visité San Francisco, je suis d’accord avec vous, la différence entre les riches et les pauvres est immense. J’adore les vidéos de Charlotte comme j’aime les photos de Raphael. Petite question, je me souviens que vous l’aviez déjà dit mais pourquoi enlever les étiquettes des cannes de conserve?

    Merci pour ce blog qui me fait voyager à chaque lectures!

    • Bonjour Marie-Claude! Merci pour votre beau message! Nous enlevons les étiquettes des cannes de conserve pour plusieurs raisons. D’une part, ça évite que les petites bibittes y fassent leur nid. D’autre part, ces étiquettes prennent l’humidité, font rouiller les cannes et pourraient se retrouver coincées au fond de la cale dans des cas extrêmes… Finalement, nous aimons mettre le papier au recyclage et diminuer le plus possible les déchets à transporter lors des navigations. Voilà! Merci de nous suivre!

  • Wowww j’adore te lire ! J ai de belles images dans ma tête en même temps que je te lis c’est fascinant de vous suivre quelle fierté pour vous ! Merci milles fois de nous partager ! Et j’adore les vidéos 😉vous êtes beaux ❤️❤️❤️

  • Merci pour ce beau récit. Ça me rappelle les livres de la V’limeuse autour du monde. Peut-être une publication de vos récits à votre retour.

    • Merci pour votre beau message Louis! Nous enlevons les étiquettes des cannes de conserve pour plusieurs raisons. D’une part, ça évite que les petites bibittes y fassent leur nid. D’autre part, ces étiquettes prennent l’humidité, font rouiller les cannes et pourraient se retrouver coincées au fond de la cale dans des cas extrêmes… Finalement, nous aimons mettre le papier au recyclage et diminuer le plus possible les déchets à transporter lors des navigations. Voilà! Merci de nous suivre!

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