Naviguer de La Paz, au Mexique, jusqu’à Majuro, dans la République des îles Marshall, c’est 5000 milles nautiques à franchir. Ce sera la plus grande distance que nous aurons parcourue sans escale. Nous avons PLUSIEURS bonnes raisons d’avoir choisi de retourner aux îles Marshall, mais pourquoi y aller directement, sans nous arrêter ailleurs dans le Pacifique ?

Stratégie

Notre stratégie est de demeurer bien au-dessus de l’équateur afin de ne traverser aucune zone de calme, de courant contraire et de météo imprévisible. En effet, selon les pilotes charts, nous bénéficierons de vents constants tout le long du trajet, le plus souvent au-delà de 20 nœuds, ce qui est l’idéal pour notre voilier d’acier. Mais aussi pour l’environnement et notre porte-monnaie, puisque cela nous évitera d’utiliser le moteur et de brûler 2,5 litres de diesel à l’heure. Comme notre moyenne habituelle a toujours été autour de 100 milles nautiques par jour, nous sommes préparés pour une navigation de 50 jours, mais nous estimons être en mesure d’arriver à destination en une quarantaine de jours.

Approvisionnement

C’est donc à La Paz que nous faisons le plein d’épicerie en prévision de ce long voyage. Mais, 40 à 50 jours, ça ira. Nous sommes déjà restés trois mois sans nous rapprovisionner. Pinocchio est bien conçu avec beaucoup d’espace de rangement pour la nourriture. C’est très pratique pour notre famille de 7 enfants. Nous avons pris l’habitude d’apprêter quotidiennement une bonne variété de repas équilibrés avec seulement une centaine d’aliments de base. Rien de cuisiné d’avance ni de repas en canne. En navigation, nous concoctons presque le même genre de menu que durant les escales. Sauf qu’au bout de quelques semaines, il ne reste plus de fruits et de légumes frais, alors nous utilisons ceux en boîte de conserve, tout simplement. Et de temps en temps, l’océan nous offre un poisson frais qui vient agrémenter le menu !

La pêche

Justement, avant de quitter le Mexique, Marcus a refait le plein de matériel de pêche. C’est toujours agréable de manger du poisson bien frais pendant ces longues périodes en mer. Au début de la deuxième semaine de cette traversée, nous avons hameçonné un espadon de 7 pieds, notre premier. Quel défi ! Ça nous a pris plus de 30 minutes pour finalement réussir à le hisser sur le pont avec la drisse de l’artimon. Heureusement, l’océan était calme, et nous progressions lentement au moteur. Puis, quelques jours plus tard, nous avons sorti une belle grosse dorade. Ensuite, nous avons perdu 2-3 prises. Une fois, notre ligne de 300 lb a même été littéralement coupée en deux. Ça devait être quelque chose de vraiment énorme ! Le reste du voyage, Pinocchio avançait trop vite à cause des vents forts et roulait beaucoup étant donné la grosse houle. Nous n’avons donc pas remis la ligne à l’eau, car ç’aurait été trop mouvementé à bord pour tout préparer… Imaginez le poisson qui glisse sur le pont pendant qu’on essaye de le découper en filets… J’vous raconte pas ! Ensuite, il faut se pencher par-dessus bord pour remplir des chaudières d’eau afin de tout nettoyer ! Sans parler du risque que les plats soient projetés d’un mur à l’autre du bateau. Ça demande de la vigilance !

WOW! UN ESPADON !
Mini-montage par Charlotte Forns

Les anniversaires

Et l’ouvrage dans la cuisine, ce n’est pas ce qui manque à bord ! Surtout sur Pinocchio au mois de janvier ! Quatre de nos sept enfants ont leur anniversaire de naissance au cours de la même fin de semaine ! Et ils réclament chacun leur gâteau, bien décoré en plus !

Et pour combler le tout, nos amis du voilier Renard nous ont donné un gros sac à surprise incluant plein de petits paquets à déballer chaque 2-3 jours et justement un cadeau pour nos 4 fêtés ! Merci les amis !

— Hey sortez voir ça, dit Marcus ! Y’a des dauphins qui sont venus nous saluer, comme s’ils voulaient faire partie de la fête ! Oh ! Mais restez dans le cockpit là !

Ces jolis mammifères marins sautent et culbutent partout autour ! Quel spectacle !

— Attention à la vague ! Ah ! Là, là ! Tenez-vous bien !

— Okay, rentrez ! Le gâteau arrive ! Gardez la main sur vos assiettes ! Bon-ne fê-te, A-lice !

Léger mal de mer

Mise à part cet intense mouvement de berceau, qui complique considérablement les déplacements sur le bateau, je ne vois aucun inconvénient aux allures portantes. Ce sont d’ailleurs mes allures favorites, car elles ne me donnent pas de sévère mal de mer ! Je n’ai qu’un mal de tête et de la fatigue pendant les premiers jours d’amarinage. Ces jours-là sont toujours difficiles. Des fois, je me demande ce qui nous a pris de vouloir reprendre la mer en voilier ! Je suis misérable… Je broie du noir… J’ai des moments de doutes.

— Peut-être aurions-nous mieux fait de rester au Mexique avec nos amis et les suivre en Polynésie française. Où simplement ne pas quitter le Canada à nouveau ?

Puis, au bout de 2-3 jours, je me sens bien. Je retrouve la joie, j’arrive à garder les yeux ouverts et je reprends mes routines tout à fait normalement. Les enfants réussissent même à avancer dans leurs cahiers d’école avec plus d’assiduité que lorsque nous sommes en escale ! Cette année, Florence, notre plus jeune, a appris à lire. Ça y est ! Elle pourra elle aussi dévorer tous les livres de notre bibliothèque à bord ! La lecture donne parfois mal à la tête en navigation, mais au bout d’un certain temps, on s’habitue…

Hauban au gré du vent

Cela dit, durant cette traversée, nous avons navigué surtout le vent dans le dos avec les voiles en ciseau et la voile avant tangonnée. Lors des dernières semaines, nous voguions sur une mer formée avec des creux de 4 mètres. Elle nous portait vers l’ouest avec ses vagues frangées d’écume. Marcus a essayé de nouveaux agencements de voiles. Par exemple, il a tangonné de plus petites voiles, conçues pour le vent fort. Ça marchait très bien avec le yankee ainsi qu’avec le foc 3, grâce à la poulie qu’il a ajoutée plus près sur le tangon. Jusqu’au matin où, après une nuit particulièrement venteuse, un « TONG » intense résonna dans tout l’acier du bateau ! Tout l’équipage ouvre les yeux.

— C’est quoi ce bruit ?

Félix est le premier sur le pont. Il voit de suite un câble qui ballotte dans le vide ! Marcus découvre avec stupeur que le ridoir d’un hauban tribord du grand mât est cassé au niveau de la fourchette. En fait, comme le point d’écoute du yankee est plus haut, nous avions installé le tangon plus haut sur le mât pour qu’il reste parallèle à l’horizon. L’inconvénient, c’est que cela fait cintrer le mât et forcer les haubans. Vaudra mieux mettre le tangon moins haut à l’avenir… Reste que là, il faut réparer… Ouf ! Marcus a la pièce de remplacement nécessaire dans son atelier ! Toujours aussi prévoyant, ce capitaine !

Prudence dans ce vaste océan

Bien heureusement, car ce n’est pas un endroit pour être mal pris, ici. Mis à part les quelques bateaux de pêche aperçus au sud d’Hawaii, nous n’avons croisé AUCUN bateau, AUCUN navire, AUCUN avion ! Rien que plein de bouées dérivantes, laissées par des pêcheurs, j’imagine. C’est d’ailleurs toujours étonnant, dans l’immensité de l’océan, de croiser une bouée à deux mètres du bateau… Bref, ça démontre l’importance d’être bien préparé et outillé pour communiquer en cas de naufrage. Dans notre sac de survie, nous avons une balise de détresse et un VHF portatifs, mais nous prévoyions aussi d’emporter notre système de communication satellite Iridium Go qui nous permet d’envoyer des messages textes et des courriels… Sinon, nous risquerions de rester longtemps à attendre les secours.

L’eau à bord

En plus, il n’y a presque pas eu de pluie durant ces 41 jours. Seulement quelques petits grains de courte durée. De quoi mourir de soif sur un radeau de survie. Vous avez sans doute remarqué nos bidons bleus sur le pont de Pinocchio. Ils contiennent 200 litres d’eau et sont conçus pour être largués avec le radeau de survie. Un gros plus en cas de naufrage.

Parlant d’eau, sur Pinocchio, nous avons un Katadyn Powersurvivor 80E-2, une machine qui sert à transformer l’eau de mer en eau douce. Marcus s’assure de toujours garder notre réservoir et les bidons bien remplis d’eau potable. En tout, nous avons de quoi tenir 25 jours. C’est bien, mais ce ne serait pas suffisant pour cette traversée de plus de 40 jours. Que faire en cas de bris ? Nous avons quelques points de chute : Hawaii, les îles du Kiribati… Autrement, nous pourrions aussi simplement descendre un peu plus au sud dans la zone de convergence intertropicale où il y a souvent des grains et des orages. Pour le moment, nous restons au nord de cette zone, comprise entre le 4e et le 10e degré, car ce n’est pas intéressant de naviguer là-dedans. Le vent est très instable et peut varier de 20 nœuds en quelques minutes, alors il faut être toujours vigilant pour ajuster la voilure à temps. En plus, elle est animée d’un contre-courant équatorial. D’ailleurs, certains navigateurs utilisent ce courant pour revenir vers l’Amérique à partir de la Polynésie française.

Ah ! La Polynésie française… J’aurais tellement aimé y retourner… Les montagnes verdoyantes, les chutes et l’abondance de fruits des Marquises ! Le lagon des atolls… Mais, des lagons, il n’en manquera pas aux îles Marshall… !

L’arrivée à destination

Ainsi, au bout de 41 jours, et après avoir franchi 6 fuseaux horaires, la ligne de changement de date et d’innombrables crêtes d’écume bouillonnante, nous atteignons enfin les eaux translucides et paisibles du lagon de Majuro. Nous démarrons le moteur et baissons les voiles avant d’accéder à la passe de cet atoll aux longues plages de sable blanc. Quel bonheur de voir les murs verts de cocotiers, mais aussi d’entendre le son rassurant de notre fidèle moteur !

Ç’aura été la traversée océanique la plus économique en carburant depuis le début de notre voyage, à peine 30 litres de diesel en tout ! Au cours de toutes les autres traversées océaniques que nous avons faites depuis 2016, nous avions dû consommer beaucoup plus de diesel à cause de longues périodes sans vent. Voilà ! Tout l’équipage est joyeux et en sécurité. Mais le capitaine se demande :

— C’est quoi ce bruit étrange qu’on a entendu en démarrant le moteur ?

(…)

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About the Author

Je suis traductrice et je navigue autour du monde avec mon mari Marcus, nos 7 enfants et notre chienne Brume sur notre voilier Pinocchio à la découverte des océans, des îles, des gens, de la flore, de la faune, des insectes, des poissons, de la culture, de la musique, des arts, de l’histoire et des saveurs d'ailleurs...
I am a translator and I travel around the world with my husband Marcus, our 7 children and dog Brume on our sailboat Pinocchio to discover the oceans, islands, people, flora, fauna, insects, fish, culture, music, art, history and flavors of faraway...

  • J’adore vous lire…encore de belles aventures de navigation, je trouve tellement courageux mais comme dis le proverbe  » qui ne fait rien n’a rien « . Bon escale à tous, soyez prudent et au plaisir de vous lire bientôt!

  • Félicitation Johanne pour ce récit et à l’équipage pour cette longue traversée ,quelle organisation ! Tellement intéressant !

  • Toujours un plaisir de lire ce récit captivant de votre périple en mer ! Bonne continuité …

  • WoW, quelle traversée! Toujours aussi agréable de vous suivre.
    Profitez de ces beaux moments en famille.
    Bonne continuité à vous tous!

    • Bonjour M Gagnon! Ah oui! Ce fut une traversée exceptionnelle! Comme je les aime! Si seulement ça pouvait être toujours comme cela! Merci pour vos fidèles commentaires. Ça m’encourage beaucoup à continuer d’écrire! Bon printemps à Québec! On pense à vous 🙂 Des fois, ça nous prendrait un directeur d’école à bord! Ha! Ha! 😉

  • Extra de vous lire à nouveau ! Mais quelle Aventure avec un grand “A” !!! Merci tellement de partager tout ça 😀

    Bravo à vous tous et toutes, Bon vent et Bonne escales bien méritée !!!

    Guillaume

    • Bonjour Guillaume,
      En effet, toute qu’une Aventure, comme on les aime! Merci d’avoir pris le temps de commenter sur le blogue. Ça fait vraiment plaisir! Bon vent à vous!

  • Nous vous suivons depuis votre départ de Québec et nous ne tarissons pas d’éloges en vous lisant. C’est certainement l’aventure de votre vie. Et presque que de la nôtre …. Vos enfants en seront marqués pour toujours et verront le monde avec un regard émerveillé. Ils seront courageux, patients et résilients. Bonne route et merci de nous faire vivre votre aventure. Lucette et André (Québec)

    • Bonjour André et Lucette, merci pour votre beau message d’encouragements. Quelle joie de vous lire du Québec! Nos enfants auront certainement un regard différent sur le monde… Ce voyage, mais aussi tout ce temps passé ensemble, aura eu des effets bénifiques sur toute la famille. Continuez de voyager avec nous! Ça nous fait de la belle compagnie!

  • Bonjour la famille,
    Je n’imagine même pas le casse tête mathématique pour gérer toutes ces vivres. Petites infos condidentielles, Charlotte apprécie modérément les bidons sous sa couchette 😂
    Sinon quelle traversée ! Quel courage ! Le paradis se mérite.
    Le départ de Thomas à dû etre un événement très intense pour vous tous.
    Bonne continuation. Vous continuez tous à enrichir ma préparation
    😍

    • Bonjour Luc! Merci pour votre beau message!
      Oui, vous avez raison! Il faut faire l’inventaire, acheter le nécessaire, identifier, trier et ranger le tout…! Mais avec le temps, ça devient comme un casse-tête qu’on connait par coeur!
      Charlotte, Charlotte… c’est vrai que ce n’est pas l’idéal les récipients sous son lit… Mais on n’a pas vraiment le choix…
      Et Thomas… son départ nous brise le coeur, mais nous sommes heureux pour lui. Il a plein de projets, et toute l’énergie pour les réaliser!
      Bon succès dans tes préparatifs!!!

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